mercredi 9 octobre 2013

les prisonniers

Julien et moi sommes depuis ce matin 10 h. à l'Université d'Hébron.

                                                                                                         © Julien Jaulin
                                                            
Les demandes des étudiants sont immenses et notre présence est ressentie comme quelque chose d'important. Parler, communiquer, échanger: une curiosité sur nous, sur notre venue, et un profond désir de témoigner sur la situation à Hébron. 

Cinq colonies, dont quatre en plein centre ville, ont considérablement réduit la liberté de mouvement des habitants. 2 zones distinctes: une juive, interdite aux palestiniens, une palestinienne, mais sous contrôle de l'armée israélienne. 
Forte pression sur la population de la part de l'armée.


« Ils sont venus ! Cette nuit, à 2 heures du matin. Ils ont tapé fort à la porte, boum ! boum !
Ouvrez ! Boum ! Boum !
Et le gosse qui hurle! Faut le comprendre.
Ma femme, qui le prend dans ses bras.  »
C’est  Wassef qui parle.
 « Alors, j’ouvre. Ils rentrent en hurlant !
 Il ne s’arrête pas de parler
« A neuf !
 Oui, à neuf, dans la maison, les fusils mitrailleurs à la main, en hurlant, en me bousculant ! »
 « Qui ça ! »
« Des militaires israéliens ! »
C’est Wassef qui parle. Évidemment, des soldats israéliens.
« A neuf, avec les fusils, à 3 heures du matin. On dormait !
Ils fouillent, le salon, soulèvent les coussins, ouvrent les portes de placards.
Ils veulent rentrer dans ma chambre à coucher, dans notre chambre à coucher, tu imagines ? Notre chambre à coucher, avec ma femme dedans.  Je m’interpose, Il y a ma femme dedans, ça ne se fait pas !
Derrière la porte, le petit hurle, il a peur !
L’un d’eux, très fort, me prend par les épaules et me jette contre le mur.
Je tape fort !
J’ai la marque, chouf ! juste là, Chouf ! chouf !
Trois rentrent dans ma chambre, le petit hurle. Ma femme, non, elle est digne.
Ils fouillent encore, reviennent aux mêmes endroits, recommencent à soulever les coussins, à ouvrir les portes des placards.
L’un d’eux me dit : « Tu fréquentes des terroristes ! Des noms ! Des noms !
Le petit qui hurle.
 Je ne fréquente pas les terroristes ! C’est faux.
Ils sont restés 2 heures.... »
Wassef se calme. Mais il rajoute :
« C’est pas la première fois qu’ils font ça. Oh, non. Régulièrement, ils font ça.
Ou bien je suis convoqué. Ils m’interrogent.
Tout ça parce qu’en rentrant de faire mes études en Jordanie, à la frontière, le Shin Bet m’a demandé de collaborer, de raconter les choses que je savais.
Je disais ne rien savoir. J’ai passé 3 jours enfermé, près du Pont d’ Allenby.
Ils m’ont proposé de l’argent, j’ai dit non aussi. Ils m’ont frappé, mais pas trop.
Et j’ai pu rentrer. »
Il poursuit :
« Alors, régulièrement ils font ça ! Boum ! Boum ! Ça fait peur à mon fils.
A ma femme aussi, et à mes parents qui sont vieux.
Faut dire que plus jeune, j’ai  lancé des cailloux,
Et puis, plus jeune, je voulais devenir Martyr, c’était la deuxième intifada.
Mais écoute Gérald : pour un israélien tué, c’est 50 palestiniens qui meurent.
Ce n’est pas rentable.
Et puis maintenant, j’ai un enfant. » 
Il me sourit, fin de l’histoire.
(extrait de Looking for Gaza, en cours d'écriture) 

Les langues se délient pendant ces ateliers d'écriture.
Pour certains, Julien et moi sommes les premiers non musulmans avec qui ils parlent.
Ils sont finalement assez agréablement surpris.
Les textes expriment  un mélange de révoltes et de résignations (nous en publierons certains prochainement).  Nous sommes  suivis majoritairement par des filles et la situation de la femme est régulièrement abordée. 
Pour elles, double peine. Occupation israélienne et traditions qui ne leur laissent que peu de liberté.
Pendant ce temps, Julien était assailli par 40 élèves ! 
Je pose des questions, pas forcément dérangeantes pour elles, mais inattendues, comme si je m’interrogeais sur un état de fait immuable et établi.

Et pendant ce temps, le stade en béton de l'Université, transformé en  salle de meeting accueillait une manifestation en soutien aux grévistes de la faim emprisonnés en Israël.


vidéo Gérald Dumont
Ils sont au nombre de 3.
300 personnes étaient rassemblées pour écouter les discours des autorités, puis des étudiants, des amis de familles de prisonniers.


Manifestation de soutien aux étudiants emprisonnés.           © Julien Jaulin
                                                                                                                
Des scènes émouvantes, des mères en pleurs, et toujours les textes de mes étudiants qui me parlent de la violence sourde et quotidienne.
Une question que je me pose: écrivent-ils ce que j'ai envie d'entendre ? Je ne crois pas. L'occupation est obsédante, comme la tradition.

Faculté d'Hébron. Etudiants lors de la manifestation de soutien aux étudiants emprisonnés.                        ©Julien Jaulin
                                                                                                                                                                                                                                     
"Quand tu passes devant un cimetière, ne crois pas que les morts soient tranquilles."
(phrase entendue aujourd’hui)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire